La Côte d’Ivoire tremble. Les spectres de 2010-2011, cette crise post-électorale qui a emporté 3 248 vies dans des violences fratricides, reviennent hanter le pays à l’approche de l’élection présidentielle d’octobre 2025. Pourtant, malgré les signaux d’alarme, la CEDEAO et la communauté internationale observent, impassibles, ce qui s’annonce comme une tragédie annoncée.
Gbagbo lance l’offensive : « Trop, c’est trop ! »
Samedi 26 avril, lors d’une réunion houleuse du comité central de son parti, le PPA-CI, Laurent Gbagbo a adressé un message clair à ses militants : la résistance s’organise. Exclu du scrutin pour une condamnation judiciaire liée à la crise de 2010-2011 – malgré son acquittement par la CPI –, l’ancien président a lancé le mouvement « Trop, c’est trop », promettant une protestation « multiforme et permanente ».
« Quand un peuple est acculé, il se lève », a-t-il déclaré, dans une allusion à peine voilée à une mobilisation de rue. Ses partisans, galvanisés, parlent déjà de « désobéissance civile ». Mais derrière ces mots se cache une réalité plus sombre : la Côte d’Ivoire est à nouveau au bord de l’implosion.
Une exclusion politique qui sent la poudre
Gbagbo n’est pas le seul visé. Tidjane Thiam (PDCI), radié pour une prétendue perte de nationalité, Simone Gbagbo (MGC), sous le coup d’une condamnation, et des dizaines d’autres opposants se voient écartés d’un scrutin déjà verrouillé. La Commission électorale (CEI), accusée de partialité, refuse tout audit indépendant. L’opposition, regroupée dans la coalition Cap-Côte d’Ivoire, crie à la « mascarade démocratique ».
Pendant ce temps, la CEDEAO, qui avait pourtant joué les médiateurs en 2010-2011, se terre dans un silence coupable. Comme si les leçons de l’histoire n’avaient servi à rien.
« La CEDEAO viendra quand il y aura des morts »
Dans les rues d’Abidjan, l’amertume est palpable. « C’est le bon moment pour la CEDEAO d’intervenir, mais elle fait comme si ce n’était pas son affaire », lance un habitant de Yopougon. « Demain, quand les chars rouleront et que les corps s’entasseront, ils viendront avec leurs discours de paix. Le silence devant le crime a sa part de responsabilité dans le crime. Suivez mon regard ! »
Un jeune Ivoirien, la trentaine sonnée, tempère : « Le combat des Africains, ce n’est jamais pour construire des institutions fortes, mais pour construire des personnes fortes. Pourquoi Gbagbo insiste-t-il pour être candidat alors qu’il est radié ? Le parti, c’est lui seul ? Depuis 60 ans, on accuse l’impérialisme pour justifier nos échecs. »
Ouattara-Gbagbo : Le duel qui empoisonne la Côte d’Ivoire
Au-delà des exclusions, c’est toute une génération politique qui refuse de passer la main. Alassane Ouattara, 83 ans, candidat pour un quatrième mandat controversé, et Laurent Gbagbo, 80 ans, symbole d’une opposition persécutée, incarnent ce duel qui paralyse le pays.
Pourtant, nombreux sont les Ivoiriens qui estiment que les deux hommes devraient se retirer. « Ils ont écrit l’histoire, mais aujourd’hui, ils sont devenus des obstacles à la paix », soupire une commerçante d’Abobo, quartier meurtri par les violences de 2010.
Vers une nouvelle crise en trois actes ?
Préélectorale, électorale, postélectorale : la crise est déjà en marche. Les radiations massives, les discours incendiaires, l’absence de dialogue et l’indifférence régionale dessinent un scénario catastrophe.
La Côte d’Ivoire est à un tournant décisif. Soit la communauté internationale se réveille et impose une médiation crédible, soit le pays replongera dans le chaos. Mais à Abuja, Paris et New York, personne ne semble pressé d’agir.
Demain, quand les premiers coups de feu retentiront, ils diront : « On ne savait pas. »
Pourtant, tout le monde savait.
Éditorial – Le Faucon d’Afrique – 28 avril 2025